Pourquoi je quitte Longue Vue (& les leçons que je retiens de cette aventure)

entrepreneuriat

“Le modèle de l’édition est fondamentalement cassé.

Les auteurs touchent seulement 5 à 10% de droits d’auteur sur le livre qu’ils écrivent. Mais les maisons d’édition et les libraires ne gagnent pas beaucoup d’argent pour autant. Il doit y avoir quelque chose à faire pour réinventer ce modèle.”

Cette réflexion a été le point de départ de mes discussions avec Jean-Charles Kurdali, en mai 2020.

Nous sommes amis et partageons un amour commun pour les livres de non-fiction.

Pourquoi ne pas essayer de créer une entreprise dans ce domaine passionnant ?

Bien aidés par Alexandre Dana, on commence à lire tout ce que l’on peut sur le sujet et à parler à un maximum de personnes travaillant ou connaissant l’industrie du livre.

Notre première idée de monter une maison d’édition tombe rapidement à l’eau. Cela demande beaucoup de temps, d’argent, de connexions dans l’industrie et une prise de risque importante. Nous n’avons pas ce qu’il faut pour l’instant.

Au fil de nos recherches, nous identifions tout de même un point faible dans le modèle actuel : le marketing et la distribution.

Les auteurs délèguent la vente de leur livre aux maisons d’édition qui elles-mêmes la délèguent aux libraires et autres Amazon ou Fnac. Ni l’auteur traditionnel ni la maison d’édition ne possèdent de lien direct avec les lecteurs qui achètent leur livre.

À l’ère d’Internet, on trouve ça fou et on se dit alors qu’il y a quelque chose à imaginer de ce côté.

On se dit alors que la première brique pour construire une maison d’édition est de construire un canal de distribution.

Si je sais que je suis capable de vendre 2 000 livres tout de suite grâce à ma communauté, alors le risque que je prends quand j’édite un livre est beaucoup moins élevé. Je suis quasi-certain que mes livres seront rentables à chaque fois.

Ce canal de distribution sera notre avantage compétitif et nous permettra de convaincre n’importe quel auteur de venir travailler avec nous.

Rassembler des milliers de lecteurs curieux et lancer un crowdfunding

Avec Jean-Charles, notre première action est de construire une liste email de lecteurs intéressés par des recommandations de lectures non-fiction (business, entrepreneuriat, philo, sociologie, etc).

Cette étape est rapide pour nous puisque la création de contenu est ce que l’on sait faire de mieux et que nous avons chacun une newsletter rassemblant plusieurs milliers d’abonnés.

En quelques semaines, la newsletter Longue Vue compte son premier millier d’abonnés.

C’est un bon début, mais ce n’est pas suffisant.

Nous devons aller plus loin dans la construction de ce fameux canal de distribution.

On réserve un Airbnb à Bordeaux et on part s’enfermer pendant une semaine pour réfléchir et dessiner les contours de ce projet, que l’on appelle Longue Vue.

lancer projet longue vue

Après de multiples discussions, nous arrivons au produit que vous connaissez actuellement :

  • Nous sélectionnons soigneusement et envoyons une biographie inspirante chaque mois à nos abonnés dans une belle boîte
  • Ensuite, pour creuser les leçons de chaque livre, nous animons une communauté privée et invitons l’auteur du livre (quand c’est possible) ou un expert pertinent à venir échanger lors de sessions en visio pour aller plus loin

Un projet qui mêle donc e-commerce et communauté en ligne.

On profite également de notre semaine à Bordeaux pour discuter en profondeur de nos envies respectives et poser les bases de notre relation d’associés.

  • Qu’est-ce qui nous motive profondément ?
  • Où aimerait-on amener ce projet d’ici 5 ans ? 10 ans ?
  • Quelles sont nos forces ? Nos faiblesses ?
  • Comment intégrer ce projet avec nos marques perso existantes ? Quelle place a-t-on envie de lui accorder ?
  • Comment allons-nous communiquer au jour le jour ?
  • Quel sera le rôle de chacun ?
  • etc.

On prend le temps de répondre à ces questions à l’occasion de longues marches sous le soleil girondin du mois de juillet.

Avant de terminer notre semaine, on définit notre plan d’action et de lancement.

L’option du crowdfunding est une évidence.

Pour lancer notre service, d’un point de vue e-commerce, nous avons besoin de plusieurs choses :

  • des livres biographiques à envoyer à nos abonnés ;
  • des jolies boîtes en carton pour y mettre nos livres ;
  • des goodies et petites attentions en tout genre pour une expérience mémorable ;
  • d’un site e-commerce capable d’enregistrer les commandes et les paiements ;
  • d’une solution pour assembler nos box et les envoyer à nos abonnés.

Cela implique plusieurs choses. D’abord, ces éléments ont un coût financier important. Ensuite, nos fournisseurs nous demandent des volumes de commande minimum. Enfin, tous les éléments doivent arriver au même endroit, en même temps, pour ensuite être expédiés au bon moment à nos abonnés.

Le crowdfunding nous permet de récolter l’argent (via les précommandes) avant même d’engager le moindre de frais (ou presque). Si la campagne fonctionne, on peut utiliser l’argent récolté pour passer les commandes auprès de nos fournisseurs. C’est un modèle sain qui n’implique pas de se mettre en danger dès le départ.

Cela nous permet également de faire un beau lancement pour notre projet. On fédère et on implique les membres de sa communauté, avec, pour objectif, de donner vie au projet. C’est un moment rassembleur.

Enfin, cela nous permet de donner une date de lancement claire à notre projet. Il faut que tout soit prêt pour le 15 septembre 2020 : le choix des livres, le choix de nos fournisseurs, notre identité graphique. Et les milliers de détails auxquels on ne pense pas.

Y a-t-il un Product-Market Fit dans l’appareil ?

Notre campagne de crowdfunding dure 30 jours et le 15 octobre, nous avons les chiffres définitifs : 265 abonnés et un peu moins de 20 000€ de préventes récoltés.

Nous avons réussi à créer un bel engouement autour du projet et tout le monde nous félicite pour ce carton.

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Sauf que pour nous, ce n’est pas un carton et nous sommes loin de notre objectif réel.

Si on enlève les amis, la famille et toutes les personnes qui nous ont soutenus par générosité (un immense merci ❤️), le tableau est moins rose.

À l’issue de la campagne, nous tirons plusieurs constats objectifs :

  • Nous ne savons pas qui est notre client idéal
  • Nous ne savons pas quel problème nous résolvons
  • Notre produit n’est pas un must-have, mais un nice-to-have

Bref, nous n’avons pas trouvé le fameux Product-Market fit.

D’après nos calculs, nous estimons avoir besoin de 2 000 abonnés pour pouvoir commencer à se payer avec ce projet.

La marche est longue, mais pas impossible.

Le problème, c’est que la partie e-commerce est très lourde à gérer. Je me suis retrouvé avec 300 cartons et livres à assembler dans mon salon et à envoyer à la main.

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Mon appartement pris d'assaut !

Surtout, cette partie e-commerce plombe notre marge. Les coûts pour envoyer une box comme celle que l’on propose sont très importants. Et le prix de 28€ que paient nos abonnés est déjà suffisamment élevé comme cela.

Constat :

  • Notre prix de vente est élevé
  • On ne dégage aucune marge
  • La gestion est lourde et contraignante

Ajoutons à cela une autre question : quelle valeur ajoutée a-t-on à envoyer des livres ? Nous ne sommes pas des logisticiens et d’autres le font beaucoup mieux que nous.

La valeur de notre service ne doit pas reposer sur le fait que l’on envoie des livres chez les gens, mais plutôt sur l’expérience globale que l’on propose autour de la lecture.

Avec Jean-Charles, on se retrouve donc début Novembre et on se pose une question simple :

Est-on prêts à faire all-in sur le projet Longue Vue dans sa forme actuelle ?

Est-on prêts à tout miser sur ce projet et ne faire que cela ?

(Jusqu’à présent, on bricolait chacun de notre côté avec des missions freelance pour payer notre loyer et dédier un maximum de temps à Longue Vue)

La réponse est non.

Nous n’avons pas de product market-fit. Nous ne savons pas comment faire grandir notre base d’abonnés après le crowdfunding (nous avons des pistes, mais rien d’évident). Nous ne pouvons dégager aucun budget marketing. Nous ne savons pas quelle valeur on apporte. Quel problème on résout. Pour couronner le tout, la partie e-commerce est difficile à gérer et nous fait perdre de l’argent.

Quand on y repense, on réalise que l’on a fait les choses à l’envers.

Nous avons abordé ce projet en pensant d’abord à ce que l’on avait envie de faire, avant de penser à ce dont les gens ont besoin. On a foncé tête baissée dans un projet aux fondations mal construites dès le départ.

On a beau le savoir, mais les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés.

Un pivot et une décision difficile

Nous voici donc face à une décision à prendre.

Nous avons deux solutions possibles :

  • Soit on attend quelques mois pour voir où ce projet nous mène, avec le sentiment désagréable de ne pas savoir où l’on va
  • Soit on prend une décision tranchée et on ne perd pas de temps, sans rester paralysé par les sunk costs.

On choisit la deuxième option et on décide de réfléchir à un pivot.

La première décision que l’on prend est évidente : il faut arrêter la partie e-commerce (pour toutes les raisons que je viens d’évoquer).

L’autre décision concerne le choix de ne proposer uniquement des biographies.

Les biographies sont sympas à lire, mais sont de l’ordre des nice-to-have et de l’inspiration. On a beau essayer d’expliquer pourquoi il est important de lire des biographies, il est difficile d’identifier le problème concret qu’elles résolvent (et que l’on résout par association).

On commence donc à brainstormer sur la nouvelle version de Longue Vue, centré essentiellement autour d’un club de lecture en ligne.

Mais vient rapidement la question de notre engagement personnel dans le projet.

A-t-on envie de continuer à s’impliquer dans ce projet ? Sous quelles modalités ?

On en discute de manière ouverte pendant deux heures, un dimanche après-midi, avec Alexandre Dana.

Quand on a lancé le projet, la répartition des rôles s’est faite de manière naturelle :

  • Jean-Charles adorait la partie communauté en ligne et club de lecture
  • Moi, j’aimais la partie e-commerce et j’avais envie de me frotter à la partie logistique

Dans la nouvelle version, ma partie disparaît complètement.

Je prends plusieurs jours pour y réfléchir et j’arrive à la conclusion suivante : je trouve que la partie club de lecture en ligne est top, mais je ne me vois pas dédier tout mon temps à ce type de projet.

Si on a envie de faire de Longue Vue un club de lecture exceptionnel, il faut être prêt à s’investir à fond et incarner le projet.

J’aime discuter de mes lectures avec d’autres gens, mais pas au point de tout arrêter pour ne faire que cela.

À titre personnel, j’ai aussi le sentiment que mes forces en tant qu’entrepreneur ne sont pas dans la création d’une communauté. Je suis capable de le faire, mais d’autres personnes peuvent le faire beaucoup mieux que moi. Mon avantage compétitif n’est pas ici.

J’en discute avec Jean-Charles et on se met d’accord pour que je sorte de Longue Vue et que lui continue tout seul, à sa manière.

C’était une discussion très importante. Non seulement pour le sort du projet, mais aussi parce que notre amitié était en jeu.

Je crois que l’on a réussi à avoir une discussion honnête et transparente, en mettant nos égos de nos côtés. Ce qui est loin d’être évident dans ce genre de moment.

La décision n’a pas été facile à prendre.

Arrêter la partie e-commerce est la bonne décision à prendre mais cela aurait été dommage de mettre fin au projet alors que l’on a réussi à créer un bel engouement.

Je soutiens évidemment Jean-Charles à 100% et continue de l’aider au mieux pour lancer la V2 de Longue Vue.

What’s next ?

Je tiens d’abord à dire un grand merci à toutes les personnes qui ont soutenu de près ou de loin le projet Longue Vue.

Je suis triste que cela se termine comme cela pour moi, mais je suis convaincu d’avoir fait le bon choix.

Je garde un très bon souvenir de ce projet et je regarde avec fierté ce que nous avons réussi à accomplir depuis le mois de juin,

Je ne vois pas mon départ comme un échec (même si sur le papier, cela y ressemble beaucoup), mais plutôt comme une étape supplémentaire dans mon parcours d’entrepreneur.

J’ai appris beaucoup de choses et j’ai eu l’occasion de me frotter à des défis que je ne connaissais pas : mener à bien une campagne de crowdfunding, développer un projet e-commerce, mettre sur pied une boutique Shopify fonctionnelle avec un système d’abonnement, etc.

Il n’y a pas d’échec, seulement des apprentissages.

En ce qui concerne la suite, elle s’écrira pour moi avec Sauce Writing.

Pendant les 6 premiers mois de l’année 2020, j’ai commencé à transmettre mes méthodes d’écriture sous différents formats et j’ai pu accompagner une centaine d’élèves dans leur création de contenu.

J’ai ralenti le projet au moment de la création de Longue Vue, mais par chance, je ne l’ai pas totalement arrêté.

Ma transition n’en est donc pas vraiment une. Je reprends Sauce Writing à pleines mains avec pour ambition d’en faire l’école d’écriture de référence sur Internet.

À très vite pour de nouvelles aventures.

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