Surviving Autocracy - Masha Gessen

Surviving Autocracy - Masha Gessen

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Ma note : 7,5/10


Le livre en 3 phrases

Surviving Autocracy de Masha Gessen dresse le parallèle entre les autocraties de l'Europe de l'Est (l'URSS, la Russie de Putin, la Hongrie d'Orban, etc) et la situation des États-Unis sous la Présidence Trump.

L'autrice démontre que les stratégies et manœuvres employées par Trump sont exactement les mêmes (et qu'il en est très fier).

"Pour Trump, son pouvoir lui donne le droit de dire ce qu'il veut, quand il le veut, peu importent les faits. Il est le Président du pays et donc le roi de la réalité"

Mes impressions

Une lecture importante pour mesurer ce qu'a été le règne de Donald Trump en tant que Président des États-Unis. Masha Gessen nous explique bien les dangers et la menace que représente la vision du monde orchestrée par Trump.

De la même autrice (et dans le même thème), j'ai également lu la biographie de Vladimir Putin, qui relate son ascension au pouvoir.

Je recommande un bon niveau d'anglais pour lire ce livre.

Les concepts à retenir & notes en vrac

1. Brûler le Reichstag

En 1933, cela fait seulement quelques semaines qu'Hitler a été nommé Chancelier.

L'une de ses premières décisions ? Réduire la liberté de la presse et étendre les pouvoirs de la police.

C'est l'incendie du Reichstag du 27 février qui entraîne ce basculement. Hitler se sert de cet événement pour créer "un état d'exception" : il donne le droit à la police de détenir des gens sans raison, pour des simples motifs de "prévention". Cela conduit à la prise de pouvoir des SA et des SS. L'état d'urgence se met alors en place, dirigé par les Nazis.

La clef est de passer en "état d'exception". Celui-ci arrive quand un événement marquant se produit et secoue l'ordre normal et établi des choses. L'urgence permet alors un saut quantique : elle confère un pouvoir supplémentaire au souverain en place, qui rend ensuite tout changement (et retour à la normale) impossible. L'état d'exception devient ainsi permanent.

L'incendie du Reichstag est l'exemple parfait de ce schéma, mais on le voit à l'œuvre partout :

  • En 1999, une série de bombes placées dans des appartements à Moscou tuent des centaines de personnes. Cela renforce alors le pouvoir de Putin qui use de ce prétexte pour réduire les libertés et faire la guerre aux "terroristes tchétchènes".
  • Certains évoquent également le 11 septembre comme un point de basculement dans la montée en puissance de Bush et la guerre qu'il va ensuite conduire en Afghanistan et en Irak.

2. Les premiers jours de la Présidence Trump

Ce qui est fascinant avec Trump, c'est qu'il s'est posé comme l'adversaire des élites. Comme celui qui allait libérer les citoyens américains de l'emprise des élites qui leur pourrissent la vie.

Même une fois au pouvoir, alors que lui et son gouvernement représentent la quintessence de cette élite, il a continué à se présenter ainsi et alimenter ce climat hostile.

Pour son gouvernement, il a nommé en charge des personnes qui étaient exactement opposées à la mission qu'ils allaient devoir effectuer :

  • Il a nommé Scott Pruitt, un climatosceptique, à la tête de l'Agence de Protection de l'Environnement ;
  • Il a nommé Tom Price à la tête de l'agence de la Santé américaine. Son ambition première ? Se débarrasser de Medicaid et des progrès réalisés en termes d'accès à la santé ;
  • Il a nommé Rick Perry à la tête du département de l'énergie, alors que celui-ci a toujours affirmé vouloir fermer le département de l'énergie. En réalité, il ne savait pas ce que gère réellement le Département de l'énergie (l'arme nucléaire) ;
  • Il a nommé Jeff Sessions, un opposant aux Civil Right Acts (la loi qui protège les droits des minorités) et un gouverneur n'a jamais réussi à devenir juge, en tant que Ministre de la Justice ;
  • Il a nommé Betsy DeVos, une anti-éducation publique, à la tête du Département de l'éducation.

Trump, ainsi que ses proches lieutenants et ministres, ont passé leur temps à mentir. Surtout devant le Congrès, ce qui est censé être un crime aux USA. Ils n'ont jamais été punis comme ils le devraient. Pendant son mandat, il n'y avait plus aucune règle. Plus rien n'avait d'importance.

Il ignorait les briefings de sécurité des équipes du renseignement intérieur. Il qualifiait le Covid "d'hoax", ou de "petite grippe qui va passer très vite". Ensuite, c'est devenu "le virus européen", puis le "virus chinois" (un nom plus marquant pour séduire et alimenter la haine de ses électeurs).

Trump a consacré ses premières heures en tant que Président au renvoi de toutes les personnes qui avaient travaillé pour les administrations présidentes et au démantèlement systématique de tout ce qui venait d'être fait par son prédécesseur.

Les autocrates annoncent dès le début de leur mandat (et souvent bien avant) la couleur de ce qu'ils comptent faire. Il n'y a aucune surprise, ils en parlent sans gêne, ouvertement. C'est ce qu'a fait Putin au moment de sa prise de pouvoir. Il a annoncé de manière claire et transparente toutes les mesures qu'il comptait prendre (et qu'il a prises).

Trump s'est moqué de la fonction présidentielle et de ce qu'elle impliquait.

Pendant les premiers mois de son mandat, les ministères et départements étaient quasiment vides.

Les quelques personnes qui y travaillent étaient désorientées, sans savoir ce qu'elles devaient faire. Toutes les décisions étaient prises dans la précipitation, sans réflexion profonde pour savoir ce qu'elles impliquaient.

3. Faire croire que les choses sont simples

On imagine souvent les grands méchants de l'Histoire comme des génies manipulateurs. Mais ce n'est pas le cas.

Quand on lit les contemporains de Stalin ou d'Hitler, on découvre que le grand public les trouvait ridicules. Sans imagination, sans éducation ou compétence particulière.

Ce n'est pas le talent qui les a conduits au pouvoir, "mais c'est plutôt leur ignorance absolue qui leur a permis de devenir populaires dans un monde d'une complexité effrayante".

C'est la même chose pour Putin, décrit par ses pairs comme un homme non-éduqué, sous-informé et tout sauf curieux.

Le tour de force de Trump, comme tous les autres autocrates, a été de faire croire que les choses sont simples (alors qu'elles sont immensément complexes). Il semblait croire qu'il était capable de résoudre n'importe quel problème avec un peu de bon sens et de pro-activité. Il répétait à ses généraux : "si nous disposons de la bombe nucléaire, pourquoi ne pas l'utiliser ?"

Pour Trump, les États-Unis doivent être gérés comme n'importe quelle entreprise à l'ancienne : avec une bonne vieille structure pyramidale où la tête prend les décisions et les impose au reste de l'entreprise par la force.

Trump a nommé Gordon Sondland, l'un de ses plus gros donateurs et un businessman de l'hôtellerie, comme ambassadeur de l'Union Européenne. Sondland n'avait aucune compétence pour le job. Il a par exemple fallu lui expliquer plusieurs fois qu'il ne pouvait pas mener des négociations de diplomatie extérieure avec son téléphone personnel, non sécurisé.

Trump a démantelé et corrompu (au sens réel du terme, pour son bénéfice personnel et celui de ses proches) les domaines du gouvernement fédéral qui l'intéressait et a laissé à l'abandon les autres.

Pour Trump, il n'y avait aucune raison de ne pas utiliser sa position de Président des USA pour faire fructifier ses business. Il a plusieurs fois demandé aux citoyens américains d'acheter la marque de chaussure de sa femme, Ivanka Trump, à l'occasion de discours officiels.

Le cabinet ministériel de Trump a déclenché davantage d'enquêtes pour conflit d'intérêts qu'il est possible humainement de suivre.

Trump a par exemple demandé à la délégation de l'Arabie-Saoudite de se loger dans les hôtels Trump, à Washington, pour leurs déplacements dans la capitale. Soit $40 millions de revenu pour 500 nuits réservées pendant les mois qui ont suivi l'élection de Trump.

Pour Trump, le pouvoir politique a un intérêt uniquement s'il peut permettre l'enrichissement personnel.

C'est d'ailleurs cohérent avec le système américain où les élections se décident en grande partie en fonction du budget et de la force financière des candidats.

"Dans la plupart des démocraties du monde, les médias sont obligés d'accorder le même temps de parole à tous les candidats de l'élection présidentielle. Aux Etats-Unis, le principal moyen de s'adresser aux électeurs est d'acheter des espaces publicitaires payants". Celui qui a les poches les plus profondes l'emporte.

Il est évident que dans un tel système, le plus grand manipulateur et escroc allait tirer son épingle du jeu.

Les premières réceptions et visites officielles de Trump ont toutes été faites avec des autocraties notoires : Kim Jon-un (avec une pointe d'admiration pour la poigne du dictateur coréen : "he goes in, he takes over, and he's the boss"), Putin, Erdogan, l'Arabie-Saoudite, etc.

Trump est fondamentalement fasciné par ces hommes.

Et cela se ressent sur le rapport qu'il imposait à ses collaborateurs du parti Républicain : si vous ne vous soumettez pas intégralement et jurez fidélité absolue à Trump et sa méthode, vous êtes éjecté.

Trump est un autocrate et ne s'en cache pas. Son avocat a toujours réclamé pour lui "l'immunité et l'impunité absolue". Exactement comme le ferait n'importe quel dictateur.

4. Créer une réalité alternative

L'autocratie Trump a démarré par une guerre des mots.

Comme tous les autocrates, Trump excelle dans l'art de détourner les mots de leur sens original afin de les faire coller à leur propre réalité (celle de l'autocrate). Il aime utiliser les mots pour communiquer l'idée inverse de ce qu'ils signifient et ainsi les dénuer de sens.

Exemple : fake news. Trump n'a pas cessé de répéter que les médias qui critiquaient ses décisions répendaient des fake news, se positionnant en victime. Le menteur accusait les autres de mentir. Et finalement le terme de fake news a perdu tout son sens.

Quand on devient incapable de décrire un phénomène avec des mots, ce phénomène s'efface de la réalité collective et partagée des citoyens.

Les dictatures soviétiques ont beaucoup utilisé ce mécanisme, en détournant les mots de leur signification et en les utilisant pour signifier des choses contraires (ex : le terme "élections libres" était utilisé en URSS, alors même que celles-ci n'existaient pas).

Il est d'ailleurs drôle (ou tragique, au choix) de noter que de nombreux discours de Trump ne sont qu'une accumulation de mots qui ne veulent rien dire et ne font aucun sens. Trump dissémine certains mots-clefs ("liberté", "responsabilité", etc.) dans des phrases qui n'ont aucune cohérence. Cela rend son discours incompréhensible pour les critiques. Et puisqu'il est incompréhensible, son discours devient inattaquable.

Mais cela ne s'arrête pas au sens des mots.

Trump et son équipe n'hésitaient pas à recourir au mensonge à et interpréter chaque fait selon leur propre grille de lecture. Trump a par exemple menti sur un sujet aussi consensuel que la météo. Il a expliqué à plusieurs reprises qu'il faisait un magnifique soleil pendant son discours d'investiture, alors que les images montrent qu'il pleuvait.

C'est la marque absolue de l'autocrate : la réalité n'existe pas, seule la réalité de Trump existe. Et il fait tout pour vous l'imposer.

"Pour Trump, son pouvoir lui donne le droit de dire ce qu'il veut, quand il le veut, peu importent les faits. Il est le Président du pays et donc le roi de la réalité"

Trump s'attaquait ouvetement aux journalistes qui ne sont pas de son bord politique (les "mainstreams medias").

L'une des parades que les médias pensaient avoir trouvées pour lutter contre les mensonges de Trump, étaient les fameux sites de "fact-checking", censés prouver les mensonges de manière objective et indiscutable.

Le Washington Post a par exemple prouvé que Trump mentait au rythme de 13 mensonges par jour pendant son mandat.

Problème :

  • Impossible de tenir ce rythme et de tout débunker ;
  • Trump répète les mêmes mensonges encore et encore ;
  • Le débunkage se fait a posteriori, une seule fois, alors que le mal a déjà été fait (et répété plusieurs fois) ;
  • Le fait de vouloir débunker ses mensonges implique que les mensonges peuvent malgré tout s'appuyer sur une certaine réalité ;
  • La réalité commune n'existe plus, puisque Trump invente et impose la sienne (et ses partisans y adhèrent).

"Trump's campaign promise of a return to the imaginary past was largely a promise to transport Americans to a time when racism, misoginy, and xenophobia were mainstream attitudes."

À chaque déplacement et meeting de Trump, on observait une hausse des "hate crime" (délits raciaux) de 226% dans la région où il se trouvait.

La présence (et ensuite son élection) justifiait le recours à la haine. Elle confortait les auteurs de ces actes.

"We find that while economic considerations were an important part of the story, racial attitudes and sexism were much more strongly related to support for Trump". Trump a réussi à parler aux hommes blancs qui se sentent marginalisés et en danger.

Les USA sous le mandat de Trump :

  • Une nation qui raconte l'histoire d'être "la terre des immigrés", mais qui s'est en fait refermée sur elle-même, en ayant peur des autres et en devenant chaque jour un peu plus aigri ;
  • Une nation dans laquelle le welfare state (l'état providence) a été démantelé au profit d'un petit groupe d'hommes blancs qui ont accumulé plus de pouvoir et de richesse que jamais ;
  • Un pays qui n'a plus aucune aspiration morale et qui est simplement dirigée comme n'importe quelle entreprise lambda qui doit maximiser son profit.

Trump a joué sur les peurs, utilisé la haine comme une arme et s'est servi de tout cela pour s'enrichir, lui et ses amis.

Qui est le lecteur idéal ?

  • Intéréssé de politique américaine :
  • Soucieux de l'avenir de nos démocraties (je vois de nombreuses similitudes avec ce qu'il se passe en France).

Citations à retenir

"The arc of moral justice is long, but it bends toward justice" Il s'agit de la citation de Martin Luther King qu'Obama affectionne le plus.

"The media here is the opposition party. They don't understand this country. They still do not understand why Donald Trump is the President of the US. You should shut up and listen for a while" - Steve Bannon, fondateur de Breitbart (site d'extrême droite) et Conseiller stratégique de Trump. Il s'agit d'une reprise de l'expression de Stalin qui expliquait que "les médias sont l'ennemi du peuple".

"Trump has a knack for speaking directly to these anxieties. Trump's campaign ran on the word "again", the promises to "take back" a sense of safety and "bring back" a simpler time."


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